Les principales structures de construction

         Le corps de la Saraswati vina est constitué de trois parties principales : la caisse, appelée kudam, formant une cavité commune avec le manche (dandi), et le cheviller séparé par une cloison.         
        Ces trois éléments peuvent être taillés d'un bloc dans une pièce de bois de grande dimension, ou être assemblés entre eux par des emboîtements très résistants. Pour réaliser un corps de vina, nous pouvons ainsi définir quatre structures possibles :
- Structure 1 : Ces trois parties ne forment qu'une seule pièce.
- Structure 2 A : la caisse et le manche sont en une seule pièce, le cheviller étant rapporté par un joint en emboîtement.
- Structure 2 B : Le manche et le cheviller sont en une seule pièce, la caisse étant rapportée par un joint en emboîtement.
- Structure 3 : La caisse, le manche et le cheviller forment trois pièces séparées, réunies entre elles par des joints en emboîtement.

structures

         A ces quatre structures de base nous adjoindrons quatre variantes obtenues lorsque le Yali, sculpture décorative n'ayant aucune fonction dans la production sonore, est intégré au cheviller. Nous indiquerons par un " + " ces variations particulières, et résumons dans le tableau ci-dessus les huit types ainsi décris avec leur désignation.
         Presque tous les modèles définis ainsi par la théorie existent dans la pratique, certains étant exclusifs à une région ou à un luthier particulier. La structure 2 B + est la seule que nous n'ayons jamais observée, mais il n'est pas impossible qu'elle ait été utilisée dans quelques rares cas.
         Les indiens emploient régulièrement certains adjectifs pour qualifier ces différents types de vina, mais leur attribution n'est pas totalement cohérente. Le terme d’ekkanda, le plus prestigieux, est ainsi donné assez indifféremment aux structures 1, 1+, 2 A et 2 A +. Celui d’ekadandi (manche en une pièce) peut désigner les modèles 2 A, 2 A + ou 2 B, et celui d’ottu est réservé aux types 3 et 3 +.
         Pour clore cette question, il est fondamental de souligner l'importance symbolique attribuée en Inde à la notion d'unité. Le préfixe "eka" ("un") rencontré à l'intérieur des qualificatifs d’ekkanda ou d’ekadandi, laisse augurer un instrument où ce principe d'unité est respecté, et par ce fait supposé à priori de valeur supérieure. Beaucoup de témoignages de luthiers indiens ou occidentaux, ainsi que notre propre expérience nous poussent à penser qu'il n'y a pas de relation directe entre la structure du corps et la valeur musicale de l'instrument. Dans la mesure où les joints sont correctement réalisés, la qualité du bois et celle du travail ont une importance sans nul doute très supérieure. Deux conséquences contradictoires sont cependant perceptibles du fait de ce goût manifesté pour les instruments en une pièce. La première, négative, sera l'envie souvent remarquée de réaliser "de force" une vina de type 1 ou 2 A dans un morceau de bois ne s'y prêtant pas. La qualité médiocre du matériau amènera alors le luthier à effectuer divers renforcements et camouflages nuisant à l'homogénéité et à la solidité de l'instrument. Avec le temps des phénomènes de torsion ou de craquement peuvent apparaître sur de telles vinas.
         La deuxième conséquence, plus positive, réside dans le soin particulier apporté par le facteur à la fabrication d'un instrument en une pièce. Sa valeur marchande étant plus grande, le travail est de préférence confié à un maître luthier, et une attention spéciale est apportée à chaque étape de la réalisation. Cette raison est la véritable cause de la qualité effective de nombreuses vinas ekkandas.

Facture de la caisse

         La caisse est sans doute la pièce demandant le plus gros travail dans la réalisation d'une vina d'Inde du sud. Qu'elle soit rattachée au manche (type 1 ou 2 A) ou isolée (structure 2 B ou 3), sa fabrication reste semblable. Le croquis ci-contre illustre sa géométrie, ses courbes et ses proportions.
       Le plan supérieur reproduit exactement la forme de la table, et est composé d'une importante portion de cercle (de centre c et de rayon r) poursuivie par deux courbes, symétriques par rapport à l'axe central x'x. La coupe longitudinale, suivant l'axe central x'x, montre une courbe de construction analogue, décrite en partie par un cercle de rayon R et de centre C. Nous remarquerons que R est légèrement supérieur à r, le plan supérieur ne traversant pas le point C et la forme de la caisse montrant un léger renflement sur ses bords. La coupe transversale, passant par l'axe y'y est une simple portion de cercle de rayon R. Les valeurs de ces multiples paramètres, ainsi que la hauteur Hc et la longueur Lc, peuvent varier dans d'importantes mesures suivant chaque instrument, chaque luthier, chaque région.
        La première étape de la facture de la caisse, réalisée par le luthier ou par le fournisseur du bois, est celle du sciage de la pièce de bois choisie, en délimitant sommairement la position future de l'instrument. A la suite du sciage, une ébauche grossière de la forme intérieure et extérieure de la caisse est effectuée. Ce travail demandant d'importants retraits de bois peut être réalisé à l'aide de grosses gouges cuillères, de coins métalliques et de marteaux, de hachettes, ou encore avec de véritables haches.

caisse

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          Dans ce dernier cas un spécialiste, comme à Tanjore, est chargé de cette tâche qu'il réalise pour tous les luthiers. L'adresse de ces ouvriers est très grande, esquissant avec ce lourd outil la silhouette générale de l'instrument, négociant au mieux entre les noeuds et les multiples défauts du bois, faisant preuve à chaque coup d'une extrême précision, la moindre inattention pouvant endommager irrémédiablement la pièce.
          Cette première ébauche achevée, la pièce est généralement mise à sécher pendant un temps pouvant varier de quelques semaines à une ou deux années. Après ce temps de repos, le travail de sculpture de la caisse reprend, à l'aide de ciseaux et de gouges cuillères de différentes tailles, jusqu'à l'obtention d'une forme lisse d'une épaisseur comprise entre 6 et 8 mm. Dans le cas d'instruments où le manche est emboîté par la suite (structures 2 B et 3), la partie où se logera l'emboîtement est conservée pleine jusqu'au moment du montage final, où elle pourra alors être rapidement évidée par quelques coups de scie et de ciseaux. Certains instruments anciens montrent des parois de 2 ou 3 mm seulement mais une telle finesse, donnant à la vina légèreté et ampleur sonore, est aussi souvent une cause de grande fragilité. Une épaisseur supérieure est dans ce cas conservée à l'extrémité opposée au manche, pour la fixation du cordier, ainsi que sur le dessus pour le maintien de la table.

Facture du manche

          Le manche de la vina est évidé sur toute sa longueur, et revêt ainsi l'aspect d'une "gouttière", se rétrécissant progressivement en profondeur et en largeur en se rapprochant du chevillier. Ce rétrécissement, variable en ampleur suivant les luthiers et les écoles, est fonction des angles déjà définis dans la géométrie de la caisse.          La figure ci-contre indique les proportions et les principales mesures caractérisant le dessin de cette pièce. Ainsi que nous l'avons remarqué plus haut, le manche de la vina peut, suivant la structure adoptée, être fabriqué de manière indépendante (type 3), de manière solidaire du chevillier (type 2 B), de la caisse (type 2 A), ou de ces deux pièces (type 1). Les parties construites séparément sont assemblées entre elles par des emboîtements où une partie "mâle" située sur un des éléments s'encastre dans un orifice "femelle" pratiqué sur l'autre. Le sens de ces liaisons est toujours semblable dans la facture de la vina : le chevillier présente un tenon s'encastrant dans le manche, qui lui-même possède un joint évasé s'emboîtant dans la caisse. La facture du manche est bien entendu très dépendante de ces diverses configurations, une part importante du travail pouvant résulter de la préparation de ces liaisons.

manche

                 Quelle que soit la structure choisie, la fabrication de cette pièce reste assez simple, et ne requiert pas les étapes de dégrossissage suivi de séchage décrites plus haut. La facture passe ainsi directement du sciage grossier à la réalisation définitive, où l'épaisseur des parois est analogue ou légèrement supérieure à celle de la caisse. Son profil rectiligne favorise, pour son creusement et sa mise en forme, un usage important de la scie et du rabot permettant un retrait de matière plus sûr et plus rapide. Les ciseaux, gouges cuillères et râpes sont aussi utilisées pour le travail de finition. Dans le cas d'une vina de type 1 ou 2 A, le manche n'est travaillé que lors de la sculpture finale et précise de la caisse.
        Trois séries de deux trous, opposés face à face, sont par la suite forées sur les cotés du manche, pour permettre le passage des trois chevilles légèrement coniques des cordes de tala. Un septième orifice est ménagé en haut et au fond, pour la mise en place du long boulon servant à la fixation du résonateur supérieur. Ces ouvertures sont pratiquées sans l'aide de lousses mais avec des mèches et de petites limes rondes, après le montage final de l'instrument.

Facture du chevillier

            Le cheviller forme un compartiment séparé du reste du corps de la vina par une cloison. Sa fonction principale est de recevoir les quatre chevilles des cordes mélodiques, qui le traversent horizontalement de part en part. Sa fermeture par un "couvercle" est facultative mais devient de plus en plus répandue de nos jours, par imitation (ou domination) de la facture de Tanjore. Le chevillier peut alors servir de boite où le musicien rangera de menus accessoires, onglets, chiffons, petite boîte de lubrifiant etc.
           Il est très souvent réalisé en bois de jaquier, mais dans certaines écoles régionales le palissandre des Indes est préféré pour sa dureté, et donc sa meilleure résistance à l'usure provoquée par les chevilles. Dans ces cas particuliers, la sculpture de dragon yali est généralement jointe au chevillier et l'instrument adopte une structure 2 A + ou 3 +.
          Comme pour le manche, la facture du chevillier ne demande pas un dégrossissage avant séchage, mais est réalisée directement à l'aide de scies, ciseaux, gouges et râpes jusqu'à l'obtention du volume désiré. Lorsqu'il est séparé du manche, le chevillier présente un tenon lui permettant une forte jonction avec le reste de l'instrument. A son autre extrémité, le yali est simplement collé et vissé, sans emboîtement d'aucune sorte.

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Le Yali

Yali Halebid

        Le yali, animal mythique moitié lion moitié dragon, est un très ancien motif de la statuaire indienne, qui peut être observé sur les murs de nombreux temples d'Inde du sud, des dynasties Pallava (VIIème siècle), Chanukya (X - XIème siècle) ou Hoysala (XIIème au XIVème). Il figurait déjà comme ornement sur l'ancêtre très lointain de la vina, la harpe en arc dénommée yazh à qui il avait donné son nom. Son rôle dans la production du son est bien sûr inexistant, mais sa présence en haut du manche est aussi incontournable que celle de la volute sur le violon. Quelques instruments ont tenté d'adopter d'autres motifs mais cela est toujours resté extrêmement marginal.
          Le yali est, avec la caisse, la pièce la plus longue et la plus difficile à réaliser dans la facture de la vina. Jusqu'à il y a quelques dizaines d'années encore, chaque facteur prenait à coeur de sculpter avec toute son originalité et son talent ce motif, sorte de couronnement d'un instrument fabriqué avec soin. Cette décoration est ainsi une aide précieuse pour identifier la provenance régionale ou même le luthier particulier ayant construit un instrument. De nos jours le yali est souvent réalisé en série par un ouvrier spécialisé dans sa sculpture. Le modèle est standardisé, et ne permet plus d'identifier le facteur. Le dessin originaire de Tanjore prend peu à peu le pas sur des motifs locaux très diversifiés.

Facture de la table

          La table est une pièce d'une très grande importance pour la qualité finale du timbre de la Saraswati vina. Le bois dans lequel elle est réalisée doit être correctement séché, sans noeud ni défaut, et présenter des fibres bien parallèles au sens longitudinal de l'instrument. Elle est généralement façonnée à l'intérieur d'une unique planche de bois, mais parfois aussi un montage de deux morceaux, collés entre eux par la tranche, est utilisé. Le jaquier, le palissandre et le red cedar peuvent être employés pour sa confection.
          Sa géométrie et les dimensions de sa surface sont équivalentes à celles relevées sur le croquis du plan supérieur de la caisse du fait de son recouvrement exact de cette pièce, sans dépassement. La table peut par ailleurs présenter un profil en forme de voûte, dont la flèche "Fl." dépasse rarement 1,5 ou 2 cm. Cette voûte renforce assez considérablement la résistance de la table à l'appui vertical exercé par le chevalet et permet en théorie un affinement de son épaisseur. Cet affinement n'est en fait guère rencontré dans la réalité, les tables les plus plates étant aussi souvent les plus fines. La longueur de la table "Lt" est généralement équivalente à celle de la caisse "Lc". Une longueur différente, permettant un renforcement mutuel des joints, est parfois préconisée mais ce chevauchement est très rarement constaté.

table

La Touche

touche

         Il est difficile de décrire une forme archétype de la "touche" de la vina car plusieurs modèles assez différents sont employés suivant les écoles. Le plus répandu, suivi à Tanjavur, consiste à couvrir le manche par une longue planche (dandipalakka) prolongeant la table d'harmonie dans le même plan. Deux baguettes de bois, servant de base à la cire dans laquelle sont retenues les frettes, font saillies au dessus de cette planche et ces deux baguettes supportant les frettes viennent reposer sur la table.
         Le dandipalakka est le plus généralement fait en bois de jaquier, mais le palissandre est aussi souvent utilisé lorsque la table est réalisée dans cette essence. La fabrication séparée des deux baguettes supportant la cire, fixées par la suite à l'aide de colle et de petits clous, rend sa facture beaucoup plus simple en le réduisant à une simple planche trapézoïdale. Scies et rabots sont les outils principaux employés pour sa réalisation.
         Une fois achevée, la "touche" est fixée à l'aide de colle, de clous, ou parfois de vis prenant appui sur trois petites planchettes clouées transversalement sur le manche. Un trou de faible diamètre est percé dans sa partie supérieure, à l'aplomb de celui réalisé dans le manche, permettant le passage du long boulon servant à maintenir le résonateur en calebasse.

Finitions

            L'instrument ainsi assemblé, les petites fissures ou imperfections sont bouchées à l'aide d'un mastic fait de colle de peau, de poudre de craie et de colorant. Une décoration est souvent appliquée sur la table, les joints, et les lignes de séparation entre les parties supérieures et inférieures du corps. Elle était faite traditionnellement en corne de cerf mais, suite à l'interdiction de ce matériau au début des années 1970, elle est réalisée de nos jours en feuilles de plastique blanc. Ses multiples aspects sont étudiés largement dans les pages relatives aux factures régionales. La vina est enfin recouverte d'un vernis synthétique assez rudimentaire, le "french polish", utilisé par la plupart des ébénistes en Inde du sud.

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