Styles, écoles et banis

        Les styles de jeu sur la vina en Inde du sud sont classés habituellement suivant deux tendances, le style "gayaki" ou style "vocal", dans lequel l'instrument cherche à copier au plus près le modèle chanté, et le style instrumental, dit "vainika"acceptant les limites et tirant avantage des particularités de la vina. Ces deux styles ne sont bien sûr pas clairement séparés mais constitueraient plutôt les deux extrémités d'une droite infinie sur laquelle chaque artiste se positionnerait. Aucun musicien ne saurait en effet affirmer reproduire totalement sur son instrument les particularités de la voix chantée, comme personne ne peut en Inde du sud s'abstraire complètement du modèle vocal, inéluctablement lié à toute interprétation d'une composition. L'adhérence à l'un de ces deux styles est donc beaucoup plus un positionnement esthétique, une manière de concevoir la place de la pratique instrumentale, qu'une stricte réalité objective.
          Le deuxième niveau de classement largement employé pour caractériser les différentes écoles est fondé sur leur origine géographique. A ce stade quatre écoles sont reconnues, correspondant aux quatre principaux états du sud : l'école de Tanjore (Tamil Nadu), l'école de Trivandrum (Kerala), l'école d'Andhra (Andhra Pradesh), et l'école de Mysore (Karnataka). Les origines de ces écoles peuvent être recherchées dans les spécificités culturelles de ces quatre peuples, possédant chacun sa propre langue et ses propres traditions sociales et religieuses, mais aussi et surtout dans le contexte historique qui présida à leur naissance. Au XIXème et au début du XXème siècle, les instrumentistes, vivant pour la plupart dans le creuset artistique des grandes cours royales du sud, étaient directement tributaires des goûts manifestés par les rajas et maharajas. En fonction des alliances plus ou moins étroites entre ces princes, les royaumes du nord, et les colonisateurs britanniques, les palais pouvaient être des lieux d'échanges culturels très riches, où les musiciens carnatiques côtoyaient des artistes hindousthanis et même des musiciens d'occident. L'influence de ces genres étrangers fut sans doute déterminante dans la genèse de certaines écoles comme celle de Mysore. D'autres contrées, plus protégées contre les emprises extérieures, ou cultivant un nationalisme ou un traditionalisme religieux, conservèrent plus fidèlement l'originalité de leur tradition.

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Les quatre états de l'Inde du Sud, domaines des styles régionaux

               A l'intérieur des quatre écoles géographiques, des sous-groupes développant des caractéristiques techniques ou esthétiques particu-lières se sont constitués à l'initiative généralement d'un grand maître novateur. Ces sous-groupes, appelés "banis" sont assez comparables aux "gharanas" hindousthanis. Ils peuvent être désignés du nom de leur fondateur (ex. : "bani de Vina Dhanammal") ou du lieu particulier où ils sont apparus (ex. : "Banide Vizianagaram"). Le nombre de ces traditions est d'environ une dizaine. A ce niveau de morcellement commence cependant la grande difficulté de l'identification et de la délimitation de chacun de ces styles, né du génie d'un artiste hors pairs, et interprété ensuite à travers le prisme de la créativité individuelle de tous ses successeurs. Certaines caractéristiques resteront constantes tandis que d'autres seront plus ou moins modifiées, chaque musicien d'importance apportant sa part d'innovation à l'intérieur du bani. La plupart des artistes de premier ordre, éprouvant une grande fierté par rapport à la tradition dont ils ont héritée tout en ne minimisant aucunement leur apport personnel, revendiquent leur appartenance à une de ces écoles instrumentales. Un musicien d'exception comme S. Balachander, disparu il y a seulement quelques années, autodidacte ayant pratiqué un jeu réellement original, peut se voir attribuer sans conteste la paternité d'un nouveau bani.
              La différence entre un bani etun "style personnel" est cependant extrêmement ténue et subjective. Seules l'appréciation universelle et l'histoire permettent de hisser l'art d'un musicien du niveau commun à celui d'école. Si à la question "à quelbaniappartenez-vous ?" de nombreux jeunes instrumentistes répondent de nos jours "à mon propre bani", c'est plus par absence de "racines" solides que par un individualisme présomptueux. Une formation musicale de plus en plus faite de multiples maîtres, de multiples influences, fait craindre aujourd'hui le mélange et la disparition proche de ces écoles, absorbées dans l'uniformité ou éclatées dans une diversité extrême.