Les techniques de main droite (pincements)

              Les ouvrages théoriques sur la musique carnatique citent un nombre important de pincements (mittus) différents, possédant tous des qualificatifs aussi variés qu'inusités dans la pratique. Nous éviterons d'utiliser ces termes souvent mal compris pour reprendre les principes du pincement des cordes sur cet instrument. Suivant les écoles, l'importance attachée aux techniques de main droite est très variable, l'ornementation de la main gauche étant généralement beaucoup plus considérée. Le pincement est pourtant sur la vina la première (et pratiquement la seule) source d'énergie sonore, et de son exécution dépendent des facteurs aussi déterminants que la dynamique, le timbre, le rythme, la longueur des phrases mélodiques et même certains types d'effets ou d'ornementations.

Pincement des cordes mélodiques

            La vina possède deux groupes de cordes, les cordes mélodiques, dont la longueur ou la tension peuvent être variées par les techniques de main gauche, et les cordes de tala, servant de bourdon, accordées sur la tonique et la quinte et pincées à vide. A ces deux catégories correspondent deux techniques de pincement, totalement séparées bien que pouvant être simultanées.
              Les cordes mélodiques sont pincées par l'index ou le majeur de la main droite. Suivant les écoles et la sonorité recherchée, trois possibilités existent : 1/ : l'utilisation d'un onglet métallique, fait d'un fil d'acier, 2 / : le pincement à l'ongle naturel, et 3/ : celui à la pulpe du doigt. L'onglet permet l'attaque la plus puissante et sonore, mais entachée d'un petit bruit métallique parfois désagréable. Il est particulièrement utile lorsque le musicien désire limiter au maximum le nombre de ses pincements, et produire de longues phrases à chacun d'eux. Il est ainsi systématiquement utilisé dans les écoles se réclamant le plus du modèle vocal. Il permet par ailleurs une grande dynamique, des "forte" importants comme des "pianissimo".
                Le jeu à l'ongle est plus léger que celui à l'onglet. Il convient aux styles utilisant de nombreux pincements successifs et rapides. Il ne se prête pas aux attaques forte, mais à un jeu plus égal. Il est particulièrement prisé dans la tradition de Mysore. Le pincement avec la pulpe du doigt n'est presque plus utilisé, malgré la finesse du son qu'il produit. Il était la caractéristique du timbre de Vina Dhanammal.
              L'attaque est toujours effectuée du haut vers le bas. La technique de la vina est en cela distincte de celle du sitar, utilisant des pincements dans les deux sens. Ceci explique la différence de tenue de l'onglet, pourtant de facture semblable, sur ces deux instruments.

Tenue de l'Onglet pour la VinaTenue de l'onglet pour le jeu de la Vina Tenue de l'onglet pour le SitarTenue de l'onglet pour le jeu du Sitar

                L'index et le majeur servent indifféremment à pincer n'importe quelle corde (la plus grande partie du jeu est pratiquée toutefois sur la "chanterelle", appelée sarani)). Leur alternance est utilisée principalement pendant les passages rapides. Nous pouvons mentionner aussi une technique particulière et assez rare dénommée katri mittu (pincement "en ciseau") consistant à pincer la corde par les deux doigts successivement, mais à intervalle très rapproché, ne produisant qu'une seule note doublée. Pendant les lents alapanas un seul doigt, index ou majeur suivant les musiciens, est le plus souvent employé.
                Le pincement peut être suivi d'un étouffement de la corde plus ou moins immédiat, exécuté avec le même doigt ou avec l'autre. Cette technique très importante, appelée pattu mittu est utilisée par toutes les écoles, bien que dans un contexte différent. Elle permet de donner un jeu très détaché ou de laisser parfois des silences, respirations qui ponctueront la mélodie.
                Pour le musicien carnatique, l'équivalent vocal du pincement d'une corde est la prononciation d'une syllabe. Cette comparaison sera particulièrement contraignante dans le cas de l'interprétation d'un kriti, forme toujours composée sur un texte. Certains artistes n'hésitent aucunement à utiliser le nombre d'attaques qui leur semble nécessaire pour interpréter le chant de la manière la plus claire, alors que d'autres répugnent à tout pincement additionnel venant briser la fluidité des courbes mélodiques originales. Le rapport du nombre de pincements sur le nombre de syllabes pourrait être ainsi une mesure du degré de soumission au modèle vocal. Aucun artiste n'est toutefois totalement strict sur ce principe, et il est toujours possible de trouver un exemple particulier où cette règle est transgressée pour des raisons d'exécution technique cohérente. Aucun musicien à l'opposé ne s'affranchira complètement de la restriction des attaques et jouera en détaché des parties de mélismes.
                L'étude des alapanas permet d'observer au mieux toutes les variétés d'attaques employées par chaque style et chaque musicien. La liberté ici est la plus grande et aucune règle ne vient entraver l'artiste dans son jeu naturel. La dynamique, la longueur des phrases, les étouffements de cordes, toutes les techniques peuvent être appréciées objectivement. Le tanam fait plus l'objet d'un consensus de la part des joueurs de vina et, mis à part quelques cas très exceptionnels, un jeu "instrumental" est le plus souvent pratiqué, recourant à un détaché continu où chaque note est jouée par un pincement séparé, obtenu par une alternance de l'index et du majeur.

Pincement des cordes de tala

                Les trois cordes de tala, jouées à vide, sont pincées de bas en haut par l'auriculaire de la main droite. Ceci est dénommé kanistika mittu dans les ouvrages théoriques. L'ongle de l'auriculaire sert normalement à réaliser ce pincement, mais quelques musiciens emploient à cet effet un petit onglet métallique, de forme analogue à ceux utilisés en occident pour le jeu de la guitare.
              Trois sortes de pincements sont rencontrés suivant les styles et les impératifs musicaux : 1/ : l'attaque simultanée des trois cordes en "accord plaqué", 2/ : un pincement des mêmes cordes égrenées lentement en "accord arpégé", et enfin 3/ : l'attaque sélective d'une seule des trois cordes. Le kanistika mittu peut par ailleurs être effectué seul, ou conjointement avec un pincement d'une corde mélodique par l'index ou le majeur.
              Les cordes de tala doivent leur nom au fait que leur vocation première est d'être pincées, généralement toutes ensemble, sur les temps forts des cycles rythmiques, marquant ainsi son déroulement régulier. Ces temps forts sont les premiers temps des laghus, des drutams ou de l'anudrutam. En Adi tala ceci correspondra aux premier, cinquième et septième temps. Cette utilisation est largement répandue, sans distinction d'école particulière. La rigueur du maintien de ce marquage tout au long d'un morceau est par contre assez variable d'un artiste à l'autre.
              Les cordes de tala ont pour autres fonctions, dans les parties d’alapana, de servir de ponctuation ou même de bourdon. C'est surtout dans cette forme improvisée que la diversité de pincements (plaqués, arpégés ou isolés) et d'utilisation est manifeste. Certaines écoles n'emploient presque jamais ces cordes pendant l’alapana, d'autres les utilisent très discrètement entre les phrases mélodiques, d'autres encore y ont recours à tout moment.
             Ces cordes ont enfin une grande importance dans l'exécution des tanams. C'est sans doute leur présence qui fait de la vina le moyen privilégié d'interprétation de cette forme. Elles peuvent être alors pincées simultanément ou en alternance avec les cordes mélodiques.
            Le groupe des cordes de tala a ainsi trois fonctions, de ponctuation, de bourdon et de maintien de la pulsation rythmique, mais ne participe que très rarement à la production de la mélodie même. Son rapport avec la voix peut donc sembler moindre. Il intègre cependant les deux actions que chaque chanteur entretient continuellement avec chacune de ses deux mains, le marquage régulier du tala et le lent égrènement des cordes du tampura.