Les techniques de main gauche (jeu et ornementation)

              Deux possibilités sont offertes à un instrumentiste jouant de la vina pour obtenir une variation de hauteur de note : modifier la tension des cordes ou changer leur longueur. La modification de la tension s'obtient en tirant latéralement la corde sur une même frette. Nous appellerons cette technique le "tiré", traduction approximative du terme anglais "pulling". Ce procédé est à la base du "vali", technique consistant à jouer de nombreuses notes successives par déflexions multiples, et équivalent carnatique du "mind" hindousthani. Très utilisé sur le sitar, il est plus difficile à mettre en œuvre sur la vina du fait de l'ordre de ses cordes. La corde aiguë (sarani), la plus jouée, rencontre en effet très vite les autres cordes lorsqu'elle est tirée hors de sa position habituelle. Elle est cependant très praticable par des musiciens expérimentés, et certains d'entre eux, comme S. Balachander, atteignent ainsi des intervalles (exceptionnels) d'une octave. tire
        L'intérêt principal de cette technique est le parfait legato qu'elle permet d'obtenir entre deux notes, imitant au mieux la voix chantée. Aucun intervalle intermédiaire involontaire ne peut être perçu. Elle autorise par ailleurs les très faibles variations d'intervalles, inférieures à l'écart entre deux frettes conjointes, et les ornementations les plus subtiles. Elle est le moyen privilégié d'exécution des "kampitas" (oscillations de hauteur) de toutes amplitudes sur la vina. Elle peut même être utilisée en-deça du sillet, à l'intérieur du cheviller, altérant la hauteur des cordes à vide. Elle permet enfin de corriger, par rectification à partir des frettes inférieures, un positionnement de frettes désaccordé avec le temps.
      Le tiré est toutefois une technique ardue, demandant une grande maîtrise. La perfection des intervalles, particulièrement lorsqu'ils sont de grande amplitude, est difficile à dominer. Comme il nécessite aussi une force physique importante, notamment lorsqu'il est utilisé sur les premières frettes ou pour de grandes variations de hauteur, il emploie toujours l'index et le majeur réunis. Cette réunion des deux doigts est ainsi la technique de base de la plupart des styles de vina, surtout dans les mouvements ascendants. Le dernier inconvénient de ce procédé est l'effort auquel il soumet les cordes et tout l'instrument. Les cordes se désaccordent souvent, les chevilles prennent du jeu, et un instrument de construction trop légère peut ne pas supporter correctement ces importantes variations de tension.

glisse           Le deuxième procédé, la modification de la longueur, peut s'obtenir en glissant les doigts le long de la corde, l'appuyant sur les frettes successives. Nous appellerons cette technique le "glissé", qui correspond au terme "jaru". Pour faciliter ce glissé en diminuant au maximum la friction des doigts sur la corde, les instrumentistes utilisent, sans excès, une graisse lubrifiante, huile, vaseline ou beurre clarifié (ghi). Ce glissé peut être de très courte distance, d'une frette à sa voisine, ou au contraire de grande amplitude, couvrant une octave et même plus. L'intérêt de cette technique est sa facilité d'exécution, la justesse des intervalles repérés par les frettes, et le grand intervalle pouvant être couvert. Une certaine relance de la vibration de la corde, frappée au passage contre chaque frette intermédiaire, est obtenue dans les glissés ascendants. Les glissés descendants provoquent au contraire un étouffement prématuré les rendant peu audibles.
         La caractéristique sonore particulière de ce procédé est de faire entendre, faiblement mais de façon non négligeable, les notes intermédiaires sonnant au passage de chaque frette. Un glissé trop lent risquerait même d'être perçu comme une gamme chromatique, figure mélodique étrangère à la musique carnatique. A ce titre le procédé de glissé, moins continu que celui du tiré, peut être considéré comme légèrement plus éloigné du modèle vocal. Sa sensibilité est également moindre car il ne peut aborder les intervalles autres que ceux repérés par les frettes. Il est largement employé sur la vina en conjonction avec d'autres procédés. Nous noterons enfin que le gottuvadyam, instrument très semblable à la vina mais ne possédant pas de frettes, utilise presque exclusivement cette technique. Il pallie à leur absence en déplaçant sur les cordes un morceau de bois dur, remplacé chez certains musiciens d'aujourd'hui par une pièce de téflon.

          Les deux techniques de jeu que nous venons de présenter utilisent le majeur et l'index joints ensembles, et ont pour but de permettre d'aller progressivement d'une note à une autre. Toutes les notes ne sont pourtant pas toujours liées ainsi dans la musique carnatique, et un jeu plus détaché est souvent nécessaire. Ceci peut s'obtenir par des pincements successifs de la main droite, la main gauche se déplaçant de frette en frette. Une technique intermédiaire existe par ailleurs, plus détachée que le "glissé", plus liée que des "pincés" successifs. Ce procédé, que nous appellerons le "frappé", nécessite une séparation de l'index et du majeur de la main gauche. Au départ l'index de cette main appuie sur une frette la corde, qui est alors pincée de la main droite. Après un délai variable, le majeur vient frapper la corde sur une autre frette, plus élevée, faisant sonner ainsi cette nouvelle note. Le majeur peut ensuite, si nécessaire, se retirer, repinçant au passage légèrement la corde et faisant réentendre de la sorte la note primitive.
frappé
        Ce procédé a l'avantage sur ceux déjà décrits de relancer la corde, par l'énergie communiquée à travers les frappés et pincés successifs. L'amortissement ne constituant plus une limite, de très longues phrases peuvent être ainsi jouées. Utilisé seul, le frappé ne permettrait que des trilles (inexistantes dans le contexte carnatique) ou des appoggiatures inférieures (sphurita). C'est pourquoi il est le plus souvent utilisé en association avec de petits glissés d'une ou deux frettes. Il excelle alors dans le jeu de mouvements de marches mélodiques très rapides comme "srsnS nsndN dndpD..." et dans tous les ornements du type mordant ou gruppetto. C'est un procédé permettant la plus grande virtuosité, idéal pour les "brikkas" (passages rapides des alapanas). Ses limites sont la faible amplitude des intervalles qu'il autorise, sa dynamique constante manquant de contraste, une impression de lié moins forte que par le glissé ou le tiré.

        Depuis le XVIIème siècle, début de la colonisation par les différentes puissances européennes, les musiciens carnatiques ont été soumis à de fréquents contacts avec la musique occidentale et son système harmonique. Le grand compositeur Muttusvami Dikshitar a par exemple écrit plusieurs pièces appelées "notes", inspirées de mélodies britanniques. Plus près de nous Vina Seshanna, à la cour de Mysore, pouvait jouer de très nombreux instruments, dont en particulier le piano. Ce joueur de vina étant à l'origine du bani de Mysore, nous ne serons pas étonné de retrouver l'emploi d'accords dans le jeu de cette école.
        Dans la majorité des cas, ces accords ne doivent cependant être considérés que comme des enrichissements du timbre ou des effets mélodiques, et non comme une succession logique de degrés soutenant le chant. Ils peuvent être joués plaqués ou arpégés sur la vina. Ce ne sont le plus souvent que des empilements de quintes et d'octaves, réalisés à l'aide d'un simple barrage de l'index, mais nous trouvons parfois des combinaisons plus élaborées. La doublure de la mélodie à l'octave inférieure, l'index et le majeur se déplaçant parallèlement sur les 1ère et 3ème ou 2ème et 4ème cordes, est aussi très prisée par certains vainikas.